samedi 22 janvier 2011

A quoi cela sert d'étudier une pièce de Molière aujourd'hui ? De la mise en oeuvre du socle commun

Vendredi après-midi, le collège a fait une pause "structurante" avec la venue de Dominique Raulin, didacticien des Mathématiques, qui a contribué à la mise en oeuvre de nombreux programmes scolaires, et qui dirige actuellement le CRDP d'Orléans.
Au programme, la mise en oeuvre du socle commun et les changements pédagogiques qu'il introduit. Cette intervention fait suite à une première conférence de Dominique Raulin dont j'avais rendu compte dans un billet long et commenté sur ce même espace : "Enseignants, vous ne tiendrez pas longtemps dans une optique de transmission de connaissances".
J'ai de nouveau choisi de reprendre une phrase en aparté de l'auteur pour titre de ce billet, non pas tant qu'elle résumerait sa pensée - car c'est une question que lui a posée un élève - mais pour sa part de provocation qui nous interpelle sur le sens des apprentissages scolaires.

Voici des notes qui reprennent le contenu de son intervention, suivies par un petit bilan de la mise en oeuvre du socle dans notre établissement :


Le socle commun
Rappel de la définition "officielle" de la compétence, combinant connaissances, capacités et attitudes.
Le débat compétences vs connaissances est clos. Il est désormais clair qu'il faut développer les deux. Notre métier, c'est d'articuler connaissances, attitudes et capacités au sein de nos enseignements. La prise en charge des capacités est la seule nouveauté. Les capacités sont toutes rédigées à partir d'un verbe. Pour Dominique Raulin (DR), les attitudes sont sans doute la bonne réponse à la question du sens : « à quoi ça sert ? » Par exemple, un élève qui demande « A quoi cela sert d'étudier une pièce de Molière aujourd'hui ? » Avantage : faire sortir le socle d'une stricte logique des savoirs scolaires.

Les changements dans les contenus d'enseignement
A la suite du socle commun, les programmes sont en train d'évoluer de façon fondamentale :
  • par une inversion de l'importance respective donnée aux capacités et aux connaissances
  • par l'affirmation d'une vision globale de la formation : la complémentarité des apports disciplinaires
    C'est sans soute une évolution irrémédiable.
DR évoque la logique de production de nouveaux programmes scolaires, en montrant comment se sont constitués les programmes d'histoire, avec un groupe d'experts composé d'universiatires, d'IPR, de collègues. Avec le socle commun, on échappe à la logique des disciplines par une vision globale. Ensuite, on s'interroge sur la place des disciplines dans l'acquisition de ces compétences. C'est une nouveauté et cette démarche est plus logique. On envisage d'abord le global (le socle) au lieu d'agglomérer la somme des connaissances disciplinaires.
Le problème n'est pas un problème idéologique (connaissances contre compétences). Il n'y aucun critère absolu dans le choix des contenus d'enseignement (exemple de l'introduction de la littérature jeunesse en Français face à la littérature classique). De plus, il n'y a plus besoin strictement de l'école pour accéder aux connaissances, notamment par le média Internet (ce qui n'est pas sans poser de problème). Notre priorité ne peut plus être la simple transmission de connaissances. Les candidats au bac se ruent sur Internet. « Aller sur Internet pour apprendre une compétence, j'aimerais bien voir ». Le système doit donc former à l'acquisition des compétences.

Les implications pédagogiques


Le risque : tout focaliser sur l'évaluation
Notre mission est d'enseigner et non pas uniquement de préparer l'examen. L'absence d'objectifs identifiés dans les programmes amène à s'interroger sur le rôle des professeurs. DR liste des dérives possibles dans la mise en oeuvre du socle : 
  • Un item = au moins un contrôle écrit
  • l'évaluationnite « aiguë ». Egarement connu par la pédagogie par objectifs, mis en place dans l'enseignement professionnel dans les 1970's.
  • l'émiettement, les travaux mono-objectifs. Ce qui se fait trop dans l'enseignement primaire. Beaucoup de ces travaux n'ont aucun sens. L'objectivité apparente est rassurante.
  • la marginalisation des questions d'apprentissages est due aux trois premiers points ci-dessus.
Etre pédagogue, c'est guider l'enfant dans les apprentissages et non les évaluer constamment. Le coeur du métier, ce sont les apprentissages, le plaisir de faire comprendre et de transmettre. On ne veut pas passer notre temps à évaluer. A force de focaliser sur les évaluations, on néglige les questions d'apprentissages.

La question primordiale est celle des apprentissages : l'évaluation doit être intégrée à la réflexion sur les apprentissages et non pas être le centre des préoccupations.

Une réalité
Ce ne sont pas les premiers changements de programmes ou de contenus d'enseignement.

Une évidence
On n'enseigne pas une capacité comme on apporte une connaissance, on permet de la développer.
La métaphore du maître nageur est reprise (voir l'article précédemment cité). Pour l'apprentissage de la lecture, c'est pareil : l'élève doit accepter d'entrer dans le piscine de la lecture. Plus on monte dans les niveaux de scolarité, moins on leur demande de faire. Il faut être le plus possible dans la position du maître-nageur ! Notre métier est l'aptitude à développer les compétences des élèves, pour acquérir des connaissances. On doit inventer les protocoles d'apprentissage.
On ne fait pas / on ne peut pas faire à la place de l'élève. C'est l'effet Topaze, conté par Pagnol (dictée en prononçant les -s pour que les élèves le notent). Les professeurs sont souvent dans l'effet Topaze (hussard de la République). Parfois, on donne trop de béquilles au lieu de donner une consigne plus globale.

Une autre évidence...
  • Une connaissance se rattache assez naturellement à un champ identifiable, à une discipline scolaire.
  • Une capacité ne relève pas d'une seule discipline : son développement passe par la complémentarité des approches disciplinaires. DR affirme que le recouvrement des compétences sur telle ou telle discipline n'a pas de fondement épistémologique.
La transformation en cours n'est pas une remise en cause des identités disciplinaires

Des banalités...
  • un élève ne peut faire quelque chose qu'à partir de ce qu'il sait faire
  • pour mettre un élève au travail, il faut savoir ce qu'il sait faire. L'évaluation sert à cela, afin de réguler nos apprentissages.
  • Il faut donc renoncer au principe de la table rase qui fait que seuls ne valent que les apprentissages menés à l'Ecole. Nous ne sommes pas les seuls à savoir faire apprendre. L'école n'est pas le seul lieu, pas le seul vecteur.
Il est nécessaire de recourir à une pratique de positionnement.

Une pratique analytique de l'évaluation est nécessaire
  • elle est fondée sur l'observation des élèves (qui travaillent) : elle est subjective. L'entente avec le professeur par exemple semble être un critère fondamental...c'est subjectif et même affectif. L'idée de l'objectivité totale en classe est fausse.
    Une procédure en trois étapes :
  • le repérage des symptômes; leur fréquence
  • l'analyse des symptômes : en amont, la recherche des causes; en aval, les conséquences sur les apprentissages ultérieurs. Le diagnostic. Il faut se méfier des normes, comme considérer qu'un élève de CE1 qui ne maîtrise pas les additions est un élève en échec. De plus on noye les élèves sous les connaissances, en négligeant la structure. Nos programmes manquent de ces éléments structurants.
  • La nouvelle activité : le traitement
DR se méfie du terme d'évaluation-diagnostic car c'est le professeur qui fait le diagnostic (même divergence entre le thermomètre et l'analyse du médecin).
Cette démarche symptômes -diagnostic-traitement est une révolution.

Fin de l'intervention magistrale

Dans une deuxième partie, les équipes pédagogiques du collège ont réfléchi à la mise en oeuvre d'un enseignement par compétences ainsi que sur la communication autour du socle pour les familles et pour les élèves. 
Concernant le travail par compétences, après les éclaircissements de Dominique Raulin, nous nous sommes demandés quoi faire : par quel bout prendre ce socle commun ? Par le livret (LPC) à valider en fin de 3e, dont nous répartitions les items ? Cette démarche ne nous a semblé ni intéressante ni productive. Nous avons pris la question du socle à l'envers, ou devrais-je dire dans le bon sens, en tentant de répondre à une question : qu'attendons-nous d'un élève en fin de 6e ? Chaque collègue a réfléchi et listé, seul ou en équipe, trois compétences disciplinaires importantes, ainsi que trois compétences générales, transversales, qu'un élève doit maîtriser en fin de cycle d'adaptation. L'idée était de dresser une photographie de nos attendus, une image plus ou moins floue car il ne s'agissait pas tant de dresser un inventaire complet, précis, et bien formulé que de nous rendre compte collectivement de la portée de nos enseignements au collège. Le constat que l'on peut dresser est que d'une part, bien qu'ayant limité le nombre de compétences-clés à formuler, nous sommes exigeants avec les élèves et que nous partageons de nombreux points communs sur les compétences transversales, notamment tout ce qui concerne la compréhension et le respect des consignes, l'expression orale et écrite, le travail en équipe ou encore le fait de savoir extraire une information d'un document.
Le lecture collective de nos attendus a été discutée et commentée par Dominique Raulin dont je vous livre de nouveau une prise de notes.

Il s'agit désormais de faire le lien entre ce qu'on a fait et le LPC, de voir quels sont les recoupements. DR évoque le problème des consignes : quel protocole d'apprentissage met-on en place quand l'élève ne maîtrise pas une compétence ? L'acharnement pédagogique avec l'exemple des exercices supplémentaires de Mathématiques. Quelles solutions pour l'élève qui ne démarre pas ? Il est aussi perçu que le problème de la compréhension des consignes peut être très divers, à commencer par le fait que l'élève n'ait pas été attentif... Il s'agit donc d'étudier en observation la fréquence de l'échec de l'élève avant d'établir un diagnostic et d'envoyer un élève en soutien ou en PPRE. J'ai aussi évoqué la question de la consigne trop dirigée, qui ne laisse pas de place au cheminement intellectuel de l'élève, voire même à l'erreur. DR a rappelé le risque inverse de tomber dans une relativisme absolu. Les élèves ont besoin d'avoir un modèle de référence (comme par exemple le schéma narratif pour raconter), et des situations de référence.

Pour DR, la direction que nous avons prise est jouable. Se pose la question du curseur de nos exigences également. Un travail d'approfondissement est à mener encore. 
Pour conclure, DR évoque un point préoccupant : la question des notes. Un 15/20 est jugé comme satisfaisant par tous. Mais ce qui est terriblement caché est ce qu'il manque pour atteindre 20 : est-ce fondamental ou anecdotique ? La note ne permet pas de le voir. Dans une logique d'évaluation par compétences, le constat s'éclaircit. Les parents vont donc demander des comptes. Existe-t-il des maladies incurables en terme de compétences pour les élèves ? On va être confronté à des réalités dures. Cela nécessitera de mettre en place, de créer des outils en tant que pédagogue. Il faut aussi avoir en tête que cette démarche d'APC (Approche Par Compétences) marchera pour peut-être 90% des élèves. Les deux-trois élèves qui posent problème en classe ne seront pas concernés, ne voudront pas descendre dans la discipline. C'est une 2e interrogation.
En bilan, Dominique Raulin souhaite ne pas faire du socle commun une usine à gaz, en évitant l'obsession du suivi. Mais il nous recommande de rester en veille en terme d'attitudes. Le LPC est un objectif. La question reste : comment atteindre ces objectifs ?  

Petit bilan personnel
L'intervention d'un spécialiste de la question, extérieur à l'établissement, connaissant bien l'institution, dont il est issu, mais avec une expérience et un recul qui lui permettent de porter un regard sur les évolutions éducatives actuelles, s'avère essentielle pour clarifier les enjeux et dissoudre des craintes infondées concernant le socle. Cela ne veut pas dire que tout est joué ou que tout aille de soit dans sa mise en oeuvre. Comment en effet structurer les apprentissages par compétences en 6e ? Comment valider in fine le socle et le LPC sans se sentir réduit à cocher des croix ? Faut-il abandonner les notes, ou sinon, comment les concilier avec l'approche par compétences ? Quelle part et quelles formes doit-on donner à l'évaluation ? aux "remédiations" ? Des pistes s'esquissent.
L'intérêt enfin de cette demi-journée est aussi de faire émerger ces questions essentielles pour notre métier et de lancer une dynamique collective d'établissement pour prendre en main le socle de façon intelligente et collective. Pourquoi le sens des apprentissages ne concernerait-il que les élèves ?

Et pour moi, il faut étudier Molière parce qu'avant toute autre chose, ses pièces de théâtre sont drôles. 

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