jeudi 28 octobre 2010

L'accompagnement, nouveau paradigme scolaire ?

Le CRAP-cahiers-pédagogiques organisait les 25- et 26 octobre à Paris (mairie du XXe) un colloque portant sur "l'accompagnement, dans et hors l'école". Avant la publication des actes du colloque sur le site du CRAP, je prends le clavier pour vous faire partager quelques notes et réflexions autour de ces questions.

Deux interventions nous retiendront particulièrement ici, celles de Jean Houssaye et de Françoise Clerc, qui ont respectivement ouvert et clos le colloque. Cette prise de notes se veut la plus rigoureuse possible, mais je vous conseille bien entendu de lire ultérieurement les actes du colloque ou de consulter les vidéos.

Ces deux interventions éclairent sur les politiques actuelles et les enjeux pédagogiques et de société qui y sont liés. Pour le professeur, elles permettent d'agir en connaissance de cause et d'étayer ses choix et actions pédagogiques.

Le soutien contre la pédagogie différenciée ?

Conférence de Jean Houssaye, professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Rouen.
Lundi 25 octobre : 10H

Actuellement, on assiste à un empilement et foisonnement des dispositifs concernant l'accompagnement des élèves ! On assiste au grand retour de la pédagogie de soutien, signant la mort de la pédagogie différenciée.
  1. gestion de l'hétérogénéité : survol historique
Tous les élèves ne sont pas au même niveau. La question des différences est toujours un fait, mais géré de manières différentes. Au Moyen Age, à l'université, âges et cursus différents des étudiants. Dans les années 1830 se fixe l'organisation de l'école primaire actuelle. Trois modes scolaires en concurrence tentaient de résoudre la diversité des élèves :
  • le mode individuel, classique = le préceptorat. Dans une classe, tous les élèves rassemblés se voient inculquer un enseignement individuel par le maître. Mais pendant ce temps-là, les autres n'ont pas d'enseignement, d'où un manque d'efficacité.
  • le mode simultané est codifié au début du 18e siècle par Jean-Baptiste de la Salle. Peu présent en 1815, uniquement chez les frères des écoles chrétiennes. Une classe par frères, donnant lieu au découpage par classes = enseignement des mêmes choses, au même moment, à tous les élèves de la classe. Manière plus efficace.
  • le mode mutuel vient d'Angleterre, introduit en France en 1815. Beaucoup moins d'enseignants dans cette méthode, résolvant le grand problème du manque de professeurs. Plusieurs dizaines ou centaines d'élèves sont regroupés dans une seule même salle, divisés ensuite en niveau/matière, sous la tutelle d'un moniteur, un élève formé par le maître, qui siège sur une estrade. Le maître transmet les ordres aux moniteurs, ce qui est perçu alors comme très libéral !
Guizot fait le choix du mode simultané, en mettant en oeuvre la grande machine de l'enseignement primaire ! Les inspecteurs sont mis en place, de même que les classes et les manuels. C'est un programme politique qui met l'école au service de l'Etat. L'Etat essaie de ravir l'école à l'Eglise. Quand Jules Ferry arrive, il se sert du travail de Guizot. Le mode simultané devient républicain, attaché à la grande révolution, à l'élitisme républicain. Relation privilégiée entre le maître et le savoir. Articulation forte entre une méthode et un système scolaire. Le primaire rejoint la pédagogie du secondaire, influencée par les Jésuites.

Comment gérer alors l'hétérogénéité ?
Les inégalités résultent des individus, sur qui pèsent la responsabilité de l'échec. Idée de l'égalité des chances. De nombreuses branches scolaires apparaissent : parallèles et institutionnelles.
Homogénéité de fonctionnement par les notes, les classements, le redoublement : l'ordre du maître l'emporte dans l'enseignement simultané. On gère les différences en renforçant les similitudes, excluant de fait le pluralisme pédagogique. En réduisant la gestion externe de l'hétérogénéité, on renforce cette hétérogénéité dans la classe.
  1. pédagogie de soutien
L'enseignement simultané est apparu au bout d'un moment comme la cause de l'hétérogénéité dans la classe ! L'échec scolaire devient un thème dominant dans les 1960. Nécessité d'introduire du soutien pour gérer l'hétérogénéité. Ces thèmes deviennent centraux quand les pédagogies nouvelles souffrent. Loi du 11 juillet 1975 : loi Haby crée le collège unique. Dans l'enseignement simultané qui fonctionne de manière homogène, il devient indispensable de gérer l'hétérogénéité pour restaurer l'homogénéité indispensable pour l'ordre de la classe : fin des filières au collège. Introduction de la pédagogie de soutien. Finalités : l'égalité des chances, la compensation de tout handicap. Moyens : reprise des apprentissages de base en petits groupes ou aide individualisés. Temps : aménagement de moment particulier dans ou en dehors de la classe. La pédagogie de soutien s'intègre dans un dispositif d'aide plus vaste, dans des structures particulières (classe, cours du soir...). Le soutien est présent dans toutes ces affaires organisationnelles. Cette pédagogie de soutien croise de nombreuses formes pédagogiques :
  • mais elle va moins loin que la pédagogie nouvelle !
  • elle a des accointances avec le pédagogie par objectifs, mais est plus floue dans les moyens.
  • en désaccord avec la pédagogie différenciée, en principe.

La pédagogie de soutien joue sur la réussite de tous et se distingue de la pédagogie traditionnelle, qui forme l'élite, qui reste axée sur la performance scolaire. La pédagogie de soutien a une spécificité pédagogique. Elle s'impose à tous les niveaux. Elle reprend les apprentissages de base par un surplus de temps et d'explication. Répétition d'éléments pour que les élèves rattrapent les autres = pédagogie du rattrapage et de la bonne conscience, appréciée des enseignants, permettant de maintenir l'apprentissage traditionnel simultané, mais on a fait quelque chose. C'est une pédagogie réparatrice promise à un grand avenir. Pédagogie de la compensation qui s'adresse à un public défavorisé. Pour les praticiens, c'est souvent la seule pédagogie praticable, même si l'inefficacité apparaît. Sa fonction première est de soutenir la pédagogie traditionnelle en mode simultané !
  1. Effacement de la pédagogie différenciée
La pédagogie de soutien maintient la prédominance des programmes, de l'autorité du maître, de l'ordre scolaire. Tout cela était remis en cause par la pédagogie différenciée, qui est morte aujourd'hui. Savary et les grands réformateurs des 1980 étaient partisans de la pédagogie différenciée, mais ont obtenu au mieux une reconnaissance de la pédagogie de soutien. La pédagogie différenciée est au croisement du mode individuel et du mode mutuel, subversif pour le mode simultané ! Elle s'inscrit en continuité de la pédagogie nouvelle, en continuité de la pédagogie par objectifs. Elle s'adressait en priorité au secondaire. Est-il possible dans un même établissement à des élèves, dans des mêmes classes, à des élèves de niveaux scolaire et affectif différents ? Aux élèves d'ouvriers et de bourgeois ?
Or, ce qui régit le secondaire, c'est l'enseignement simultané. Mais cela ne marche plus, car les régulations internes (notes, classement, redoublement) ne marchent plus, l'échec scolaire augmente.
La pédagogie différenciée reconnaît ces différences et se fonde dessus pour rétablir l'ordre dans la classe, à l'opposé du mode simultané. Meirieu avait vu que l'obstacle à lever était l'enseignement simultané en proposant dès 1987 le tutorat systématique et les ateliers diversifiés, garantissant le respect des différences, et la diversité des stratégie mises en oeuvre par les élèves.
Pourtant, elle a échoué, car plusieurs obstacles (la pédagogie de soutien s'est imposée) :
  • elle est complexe et décourage par le nombre de facteurs à prendre en compte, le nombre d'outils à maîtriser.
  • force des méthodes traditionnelles, conjonction historique entre l'ordre scolaire et la forme simultanée, qui apparaît comme logique. Cette normalité s'est juxtaposée avec les idéaux de la révolution et de la IIIe République. Une méthode éternelle qui apparaît comme naturelle et juste.
  • changement de paradigme passant du enseigner à apprendre. La différenciation est illégitime dans l'ordre scolaire, car le processus apprendre considère que le rapport premier est celui de de l'élève au savoir.
Devant les difficultés, la mutation engendrée par la pédagogie différenciée n'est pas tolérable, car cette mutation est frontale et manifeste. La pédagogie de soutien permet de changer légèrement les choses, contrairement à la pédagogie différenciée.
La pédagogie de soutien joue de ces ressemblances avec la pédagogie différenciée, tout en restant acceptable et garante d'une forme scolaire simultané et institutionnelle. C'est la forme d'un changement acceptable. Elle signe l'échec de la pédagogie différenciée. Changer d'éducation s'avère une mission impossible.

Jean Houssaye a lui-même qualifié son intervention de "pessimiste", mais avec un vrai sens de l'humour prompt à faire réagir son auditoire.

L'accompagnement scolaire : synthèse du colloque

par Françoise Clerc, professeure en sciences de l'éducation, Lyon II

L'accompagnement est une notion sociale, qui n'est pas un concept scolaire. Elle traverse la société. Néanmoins, dans le champ éducatif, un changement de paradigme apparaît, en relation avec les compétences et les parcours. Cela introduit une rupture majeure dans les représentations, de même ordre que la pédagogie différenciée dans les années 1960. Il s'agit d'une culture renouvelée portée sur les processus qui mènent aux résultats : institutionnels, sociaux, apprentissages. La notion de parcours nous amène à penser que l'enfant n'est pas identique à ce qu'il produit. De même nous ne connaissons que les manifestations de la compétence, et non la compétence en elle-même. Introduction du doute dans notre observation, les parcours étant plus significatifs que les productions.
On pense la nouveauté avec des outils anciens. La pédagogie différenciée nous a légué des pratiques. Le temps d'évolution des pratiques n'est pas le temps du politique. Les injonctions sont inutiles si le contexte n'évolue pas. La pédagogie différenciée est morte car le contexte n'a pas vraiment évolué, surtout après le départ de Savary. Sommes-nous vraiment rentrer dans la rupture paradigmique de l'accompagnement ?

L'accompagnement ne peut pas s'identifier à des pratiques qui sont des bases archaïques de l'accompagnement. Cet accompagnement ne s'adresse pas qu'aux élèves en difficultés. Il s'adresse à tous les élèves dans des buts semblables. Il est in-envisageable de séparer bons et mauvais élèves (archaïsme). En revanche, les pratiques concernant les élèves en difficultés sont à prendre dans l'héritage. Pour que l'accompagnement fonctionne, il faut contractualiser, prendre en charge collectivement (attention à l'individualisation stricte). L'individualisation ou la personnalisation est à questionner car on y réduit l'enfant à ses propres ressources, or l'éducation est un acte social. Les évaluations doivent porter sur les progrès plus que sur les résultats. La manière de conduire l'accompagnement peut aussi n'être qu'une translation des hiérarchies, car les enfants en difficultés sont généralement de mauvais utilisateurs de la compétence professionnelle des enseignants. Ils ne savent poser de bonnes questions sur les problèmes qu'ils rencontrent, ne savent pas les caractériser. L'accompagnement doit y mener.

L'accompagnement n'est ni de l'aide, ni du soutien, ni du tutorat. Mais l'accompagnement est un peu de tout cela. Selon la culture de l'établissement, des interprétations de texte différentes : méthodologie, tutorat, soutien, stages, voire travaux interdisciplinaires ! Ces pratiques sont dédiées plus à la pédagogie, mais aussi à l'éducation. Au lycée, l'heure de vie de classe peut compter dans l'accompagnement. Ce qui est déroutant pour les enseignants est qu'on ne peut pas tout faire. Les établissements doivent dresser un diagnostique selon les besoins locaux et fixer une politique d'accompagnement. Il ne peut pas y avoir de politique d'accompagnement individuelle, mais collective, d'établissement.

Autre point important, la question de la responsabilité des élèves. Il ne peut y avoir d'accompagnement sans collaboration et volonté des élèves, qui doivent être associés. Ils ont une part d'initiative, pour devenir force de proposition dans les pratiques éducatives et pédagogiques. L'accompagnement ne peut non plus être une pratique culpabilisante et moralisatrice. L'exhortation est stérile. Il faut plutôt rentrer dans le détail des activités. Toujours pour délimiter l'accompagnement, accompagner est une posture professionnelle particulière, dans le côte-à-côte (Meirieu), sans gommer le fait qu'on ne peut toujours être dans le côte-à-côte (compréhension, analyse, réciprocité). L'adulte doit assumer sa propre autorité. Il faut préparer les enseignants à varier ses postures. Or, les réformes centrées sur le contenu, la formation actuelle, peuvent faire craindre des limites à cette nécessité.

Enfin, la philosophie de l'accompagnement n'est pas complètement identique, pour deux raisons :
  • l'accompagnement éducatif repose sur l'hypothèse de la collaboration du système éducatif et des partenaires. L'articulation entre politique nationale et territoriale est nécessaire.
  • L'éducation à l'école est obligée de repenser ses pratiques en pensant aux complémentarités. Une clarification du cahier des charges de l'école s'opère, mais de manière inégale. A l'égard des familles, un changement de regard réciproque apparaît aussi. Au Québec, l'accompagnement des élèves s'effectue en collaboration avec les familles, notamment pour les primo-arrivants. Quand les parents sont associés, l'efficacité est redoublée. Les ajustements sont réciproques.
L'accompagnement personnalisé au lycée comporte une dimension d'orientation, aspect nouveau ! On change de registre dans la conception de l'orientation. Pour que le changement soit complet, les cursus devraient changer, ce qu'on a frôlé (voir livre blanc d'Education et devenir) avec la modularisation. L'école finlandaise repose sur l'école fondamentale (primaire-collège). Peut-être faut-il revoir en France le découpage des cycles, qui eux-mêmes connaissent des résistances ? La forme scolaire (classes – cursus) est un obstacle. La nécessité des filières actuelles est construite de toutes pièces et on peut interroger sa pertinence.

Le travail par compétences peut changer le regard que l'on porte sur les élèves en difficultés. Les capacités mobilisées sont toujours plus larges que ce qui est produit. L'APC (approches par compétences) peut aider sur le sens de la difficulté. La compétence s'exerce toujours en situation. Dans les évaluations, nous recueillons tant la pertinence de l'activité pédagogique que le travail de l'élève en lui-même. Ce lien doit interroger la pertinence des activités scolaires : chantier didactique majeur ! Si nous changeons les modes d'évaluation, nous changeons les situations d'apprentissage. Réflexion didactique entre le lien entre compétences du socle commun, celles construites effectivement et celles restituées dans les évaluations. Cette tension était déjà posée par Freinet au début du XXe siècle, quand sa classe fonctionnait en mini-société.

« La pédagogie différenciée est morte, vive la pédagogie différenciée ! » Au coeur de la pédagogie différenciée, le rapport entre l'élève et le savoir, qui n'est pas un rapport individuel, mais un rapport social (voir Ph. Perrenoud et Meirieu). L'école est une machine à transformer les différences en inégalités. L'enjeu de la pédagogie différenciée est de prendre en compte ses différences. La différenciation pédagogique n'est pas morte. L'hétérogénéité est bonne pour tout le monde, mais le jeu social consiste à faire croire que certains sont plus hétérogènes que d'autres : les élèves en difficultés. Ils ne décryptent pas le « métier d'élève » (Perrenoud). Les bons élèves savent négocier leur capital culturel (Bourdieu). Voir les travaux actuels sur le mérite à l'école et leurs dérives anxyogènes et sociales.
L'école est aussi une machine à imposer une légitimité culturelle. Il faut reconnaître différentes cultures dans les pratiques d'accompagnement. Les enfants s'inscrivent dans des histoires personnelles. Attention aux croix de la pédagogie par objectif. Il faut prendre en considération la globalité de la personne. L'école doit permettre à l'enfant de s'imaginer lui-même, de se projeter, de s'identifier. Cela dépasse largement les pratiques scolaires. C'est essentiel pour préparer les jeunes à leur avenir, leur entrée dans le monde d'adultes.

Des pistes pour terminer :
  • Dans les circulaires, l'équipe est souvent citée. Le projet d'établissement doit être ancré à un projet d'équipe.
  • L'autonomie des établissements doit s'entendre dans des politiques locales articulées. Les établissements scolaires doivent être des ressources culturelles pour les quartiers.
  • Organiser un établissement est au service de la pédagogie et on ne peut séparer les deux. Penser les articulations entre le métier de professeur et le métier d'élèves, très lié.
  • L'éducation est un projet qui dépasse le système éducatif.
  • L'accompagnement est le support d'analyse des besoins de l'élève.
Le colloque a également été suivi par de nombreux twittos, dont votre serviteur. Guillaume Touzé, alias @gtouze, en a créé une compilation de tweets qu'il faut lire en partant du bas. Ceux-ci mêlent indifféremment des commentaires sur le colloque, des live-tweets (citations des intervenants), des questions et interventions de twittos absents du colloque mais intéressés par les questions débattues, des commentaires d'ambiance...

1 commentaire:

Unknown a dit…

Merci Anthony.
J'ai commencé à lire la conférence et je regrette un peu de ne pas avoir pu y participer.
Je te savais déjà excellent professeur. Je vois que tu réfléchis beaucoup !
Michèle L