dimanche 27 février 2011

Comment évaluer le socle commun au collège ? Trois scenarii, du probable au réalisable

La mise en œuvre du socle est semée de pièges qui pourraient dénaturer l’esprit du travail par compétences, même à travers les meilleures intentions des acteurs. Voici trois scenarii possibles d’application du socle qui tentent de déminer le terrain en identifiant ces pièges, afin de ne pas sombrer dans l’usine à cases, l’ « évaluationnite » ou le rejet d’une impossible évaluation par compétences.

l'OCNI (objet commun non identifié)

 

Certainement le scenario actuel dans la plupart des collèges, par manque de temps de concertation, de formation et dans l'obligation d'évaluer le socle (palier 3 pour les élèves de 3e) à la fin de cette année scolaire. La précipitation entraînée se confondra avec une improvisation quasi-parfaite. Le socle sera validé – ou pas - alors que le travail par compétences n'est pas amorcé. Des dispositifs émergeront pour parer au plus pressé. Ainsi dans notre établissement, les conseils de classe du 2e trimestre, en 4e et 3e, seront ainsi précédés d'une première réunion de « conseil de compétences ». Les professeurs sont invités à valider dans Pronote les items (le logiciel de gestion d'établissement). Que ressortira-t-il de ces conseils de compétences ?
Ailleurs, peut-être qu'aucun temps de concertation n'a même été pensé pour réfléchir à l'application du socle commun, tout au mieux une réunion plénière, un conseil pédagogique, pour que les disciplines se partagent le gâteau des items du socle.
Ce mode d'évaluation improvisé reposera sur la motivation d'une équipe d'enseignants, sur le temps accordé par les chefs d'établissements pour réfléchir et s'emparer des outils. Les bonnes volontés s'effriteront vite face à la surcharge de travail induite, aux résistances passives ou actives (de collègues, des messages contradictoires ou reçus comme tel de l'inspection, de l'incompréhension des élèves...), à l'impossibilité finale de concevoir le travail par compétences et l'évaluation du socle comme un tout cohérent.
Le maintien d'une improvisation – sans formation digne de ce nom, sans temps de travail commun dans l'établissement entre collègues – provoquera des malentendus autour du socle, perçu comme un OCNI source de conflits et d'accroissement inutile des missions des professeurs.

La transposition disciplinaire  

 

Une évolution et un scenario probables sont de voir les équipes prendre en main ce socle avec conscience – après tout l'idée est généreuse - avec le fameux partage du gâteau du socle : au Français le pilier 1, aux Mathématiques le pilier 3, à l'Histoire-Géo le pilier 5 (grosso modo, inutile de poster un message pour contester ce découpage, ce n'est qu'un exemple et pas une atteinte à telle ou telle identité disciplinaire !).
Une des remarques fréquemment entendues – et que j'ai  dû prononcer à de nombreuses reprises – est qu'on ne peut évaluer ce socle sans un outil informatique fiable. Le ressort de cette idée est qu'il faut garder une trace de toutes nos évaluations où rentreront les items du socle et que l'outil informatique, comme le logiciel gestionnaire de notes, simplifiera la mise en relation des évaluations et au final la validation – ou non – du socle. Ces logiciels existent et essaiment actuellement (mais ce n'est pas le sujet de notre billet). Gardons en tête que la puissance de l'informatique est désormais au service de l'évaluation du socle. La prise en main pleine et complète du socle passera donc, et tout le monde en est convaincu, par un système informatisé.  Les enseignants transformeront leurs évaluations traditionnelles en évaluations par compétences, sans doute avec un système mixte (notes et compétences). En plus des notes et des commentaires de fin de trimestre, ils complèteront régulièrement les compétences évaluées. Un système comme Pronote propose déjà des modes d'évaluation non binaires, avec des degrés d'acquisition, qui se visualisent avec un système de couleurs. Lors des conseils de classe (ou de compétences...), la somme des activités traitant d'un item sera visualisée grâce au bilan du logiciel, et peut-être qu'un seuil de réussite fixé par l'équipe pédagogique – ou je ne sais qui – traduira la validation – ou non – dudit item !
Ce travail sera extrêmement chronophage et faussement rationnel. Il maintient chaque enseignement à distance du champ disciplinaire voisin, et encore plus d'une vision globale des apprentissages des élèves. Ce système est la parfaite transposition du système actuel (disciplines – notes – conseil). On pourra évoquer en conseil de classe la maîtrise « satisfaisante » d'un élève qui obtient 74% de réussite les items du domaine écrire de la compétence 1. Cette réussite apparaîtra visuellement par une dominante verte dans le bilan des évaluations, à peine pondérée par quelques traces d'orange et une évaluation rouge, mais le professeur d'Histoire précisera qu'il s'agissait sans doute d'un hors sujet sur un paragraphe argumenté, et que de toute façon le collègue de Français est plus apte à juger. Le risque est donc de tronquer l'évaluation par compétences par une discussion sur les pourcentages de réussite des items, déconnectée des objectifs et des situations d'apprentissage.

D'une manière plus perverse, ce système cumulatif, déterminé par un seuil chiffré arbitraire, pourra-t-il invalider une compétence pourtant maîtrisée par un élève, mais évaluée selon des critères inadéquats, non pondérés, non partagés. Ainsi, qu'attend-on des élèves face à l'item : « Savoir s’autoévaluer et être capable de décrire ses intérêts, ses compétences et ses acquis » ? Un élève qui collectionne les mauvaises notes et en a parfaitement conscience sait-il s'auto-évaluer ? Quelle valeur aura une série d'évaluation sur cet item ? On imagine les motifs multiples de fâcheries ou d'incompréhensions entre collègues sur la validation des items.
En voulant prendre en charge l'usine à cases, le risque est fort, sous prétexte de rationalité informatisée, d'éclater l'idée du socle dans une évaluationnite aigüe.

Une évaluation intégrée

 

De fait, la mise en place du socle ne peut faire l'économie de la mise à plat du contenu et des exigences, du travail et de l'évaluation par compétences.

Plutôt que de consacrer  (ou perdre...) autant de temps à discuter et sur l'évaluation par compétences a posteriori, il s'agit de consacrer le temps des équipes à préparer le travail et l'évaluation des compétences a priori : tâches complexes, remédiations, exigences et progression des apprentissages. 
Outre les productions écrites sommatives, surévaluées dans notre système scolaire, les évaluations pourront comporter une dimension formative plus affirmée, et développer l'oral et les productions personnelles (portfolio).
Dans notre collège, suite à leur semaine de stage en entreprises, les élèves de 3e préparent et présentent leur compte-rendu lors d'un oral d'une dizaine de minutes, face à un jury. Nous évaluons la maîtrise d'une dizaine d'items du socle dont tous les items du domaine « dire », compétence 1 et d'autres items spécifiques de l'orientation, du monde de l'entreprise, dans la compétence 7. Ces items ont été sélectionnés en conseil pédagogique et sont validés ou non par décision collégiale à l'issue de l'oral, sur des exigences communes.  Pour les élèves qui n'ont pas validé un item, nous leur formulons un conseil pour progresser et y parvenir. Les élèves de 3e passeront également un deuxième oral obligatoire, celui de l'épreuve d'histoire des arts, où nous renouvellerons l'évaluation par compétences et un certain nombre d'items déjà évalués.
Cet exemple montre qu'en plus des heures de cours ordinaires, on peut se saisir de dispositifs institutionnels pour évaluer le socle, ici in fine, en classe de 3e. Cet exemple pose aussi des questions : que faire quand un élève n'a pas validé tel item ou tel domaine ? Peut-on se satisfaire de productions moyennes et perfectibles ? Dans notre cas, le jury a pu être plus exigeant sur des items en considérant qu'ils pouvaient encore être retravaillés ou évalués dans l'année. Mais au fond, nous nous rendons compte que pour formuler des exigences vis-à-vis du socle, nous devons parallèlement avoir travaillé par compétences, pour que cette évaluation de 3e soit conçue comme un aboutissement qui ait du sens, et non comme une grille plaquée sur une tâche complexe, l'oral de stage en entreprises.
Néanmoins, l'évaluation collégiale, préparée en amont, présente-t-elle ici des avantages indéniables : elle fixe clairement le niveau d'exigence des compétences, elle harmonise son évaluation. Valide-t-elle une fois pour toutes ? C'est un débat que nous avons.
Prenons l'item du dire « Adapter sa prise de parole à la situation de communication ». Le jury valide la production d'un élève, et au moment du conseil, le bilan de Pronote nous affiche un pourcentage de 56%, mêlant des évaluations très diverses en Français, Histoire-Géographie, SVT et Technologie par exemple. On débouche de nouveau sur une situation conflictuelle, ou pas, si des procédures arbitraires ne viennent pas simplifier la décision : le prof de Français tranche (car c'est la compétence 1), on s'en tient au seuil de réussite fixé (70% ou autre), on vote, le chef d'établissement tranche... On pourrait m'objecter un point positif, le fait que le conseil en vienne à débattre des compétences des élèves, mais on ne peut envisager un tel système comme étant viable, sauf à consacrer une journée à chaque conseil de classe de 3e.

L'évaluation intégrée doit donc être pensée globalement, de la 6e à la 3e, en terme de travail par compétence, de progression, d'évaluations qui font sens et consensus. Ces tâches complexes doivent être élaborées par les équipes disciplinaires et croisées avec les autres disciplines. Elles doivent s'inscrire harmonieusement dans le parcours scolaire des élèves, dans l'enseignement des disciplines. (je n'invente rien que ce qui peut être développé sur ce document officiel : repères pour la mise en oeuvre du LPC). Plutôt que de se partager le gâteau des items et laisser chaque professeur « responsable » d'un corpus d'item, les équipes pédagogiques devraient fixer les exigences, les progressions envisageables selon les cycles, et fixer les moments de validation en relation avec les programmes. Cette méthode deviendrait ainsi structurante et partagée. Loin d'êtres révolutionnaires dans nos pratiques, des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux traversent déjà en pointillé le collège : histoire des arts, semaine d'orientation, les IDD classés en différents thèmes. Sachant qu'il ne peut y avoir de retour en arrière, les équipes penseront la remédiation nécessaire face aux échecs. Les tâches complexes seront variées et on évitera la dérive de l'évaluation item par item (un contrôle, un item). Il semble opportun de tenter une validation assez large à l'issue du cycle central (5e-4e) afin de libérer l'année de 3e assez chargée.

Cette évaluation intégrée des compétences doit permettre de :
·         mobiliser les équipes et les élèves autour de situations d'apprentissage riches et complexes, porteuses de sens
·         Parer à la dérive d'une logique de découpages disciplinaires du socle et des items d'évaluation
·         ne pas réduire le socle à l'évaluation binaire du LPC, à l'usine à cases
·         prendre le socle comme un outil au service du travail et des apprentissages
·         d'utiliser les outils de validation informatique avec mesure, dans une logique qui ne ramène pas les compétences à des sommes de travaux disparates, moyennées en pourcentage de réussite.

Pour conclure, l'application du socle peut être l'occasion de redonner du souffle au collège, plus de sens aux apprentissages trop cloisonnés, sans remettre en cause son organisation générale. Il peut amener à changer de regard, non pas tant sur les élèves, mais sur leur travail et leurs aptitudes, en énonçant clairement quelles sont leurs compétences acquises. C'est aussi une façon de certifier les apprentissages en mode positif et progressif, et non pas en référence négative constante à une norme chiffrée prescrite (le 20/20), qui n'énonce pas les acquis des élèves.

7 commentaires:

Christine Galopeau a dit…

superbe démonstration Anthony à laquelle je ne peux que souscrire en me demandant comment faire dans mon établissement !!

Mila Saint Anne a dit…

Fais gaffe, tu vas finir IPR :)

Yanick a dit…

Je ne sais pas quoi dire ! Ah oui, Merci !

Anonyme a dit…

Bravo pour cet article .
J'arrive à la m^me conclusion que vous mais pour faire accepter ce travail aux collègues !!Pour eux c'est de la poudre aux yeux qui masque le défaillance et le niveau des élèves qui baisse.
Pas évident et pourtant comme cela en remotiverait certains !

anne-claire a dit…

bravo ! Mais comment mettre ça en place quand on est TZR et qu'on exerce dans plusieurs établissements en même temps ?

Anonyme a dit…

1/ Il est TOTALEMENT faux de dire que le norme c'est à atteindre est le 20/20 ... D'ailleurs un élève qui aurait des moyennes entre 14 et 16 sur 20, serait félicité par un conseil de classe alors même qu'il est dessous d'environ 25% des "points maquables" ... C'est une erreur, sinon une hypocrisie, de la part de ceux qui ne veulent plus des notes ... J'espère que c'est une erreur !

2/ Une des difficultés du socle est : que se passe-t-il pour les élèves de 3ème qui ne le valident pas ? Je veux dire, quel est le discours à leur tenir ? Car si tous les élèves de 3ème ont le socle ... et qu'ils s'en rendent compte ...

Anthony Lozac'h a dit…

Cher collège - ou pas - anonyme, je vous invite à cliquer sur le lien concernant la norme prescrite du 20/20, où vous pourrez constater que ce n'est pas exactement ce que vous en avez compris. Quant à l'hypocrisie, est-ce une remarque qui invite à la discussion ?
Concernant le socle, ce que vous pointez pose problème en effet. Le discours à tenir est plus simple que la mise en oeuvre réelle du socle commun. D'une part, la validation du socle est prévue en fin de scolarité obligatoire, donc il faudrait (cela est prévu mais dans la pratique...) pouvoir encore le valider au lycée. D'autre part, organisé tel qu'il est, affilié au DNB en fin d'année, cette validation du palier 3 est problématique, notamment pour un point précis : l'impossibilité de remédier au constat établi en conseil de classe du 3e trimestre.
Une question : êtes-vous gêné(e) par l'objectif qu'un maximum d'élève obtienne ce socle commun ?